Suicide assisté et euthanasie : 2500 ans de médecine hippocratique enterrés par le CCNE ?
Le 13 Septembre, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) a rendu public son avis très attendu sur les « Questions éthiques relatives aux situations de fin de vie », suscitant incompréhension douloureuse et vives inquiétudes puisqu’il conclut à l’existence d’une application éthique du suicide assisté et de l’euthanasie, enterrant ainsi 2500 ans de médecine hippocratique et mettant en cause un principe fondateur de notre société qu’est l’interdit de tuer.
La surprise est d’autant plus grande que le rapport commence par un plaidoyer en faveur des soins palliatifs et du droit d’en bénéficier, mis en place par la loi de 1999, renforcé en 2005 par un texte qui affirme le devoir d’accompagnement et l’interdiction de l’obstination déraisonnable puis en 2016 par la loi Claeys-Leonetti qui y ajoute un droit à la sédation profonde des personnes malades dont le pronostic vital est engagé à court terme, la valorisation des directives anticipées contraignantes pour le médecin, et l’obligation de procédures collégiales pour fonder et argumenter toute décision d’arrêt de traitement : ces dernières mesures allant dans le sens d’une implication souveraine du patient dans sa prise en charge et du refus réitéré de l’obstination déraisonnable.
Or le CCNE constate une reconnaissance universitaire et financière très insuffisante des soins palliatifs (par exemple, l’absence de professeur titulaire de Soins Palliatifs depuis la création de la chaire universitaire en 2016) responsable d’un défaut de formation et de moyens matériels et humains et d’une hétérogénéité territoriale conduisant à des inégalités d’accès (23 départements ne disposent toujours pas de structure de soins palliatifs en 2022).
Le CCNE établit des diagnostics pertinents :
Il reconnait que la majorité des situations de fin de vie pénibles résulte d’un défaut de mise en œuvre des dispositions en vigueur ;
Il reconnait, dans la demande de mourir par les personnes vulnérables et dépendantes, la peur d’être un fardeau pour une société qui promeut la performance individuelle.
II y avait pour le CCNE une occasion magnifique de réaffirmer l’enjeu éthique d’une accessibilité équitable aux soins palliatifs et l’absence de hiérarchie de dignité entre les êtres humains, quel que soit l’état de vulnérabilité.
Au lieu de quoi le CCNE, après avoir recommandé le renforcement des mesures de santé publique dans le domaine des soins palliatifs et – de façon très ambivalente – dans la lutte contre le suicide (III-A-14), envisage une application éthique de l’aide active à mourir dépénalisée, donc de l’assistance au suicide « pour les personnes majeures atteintes de maladies graves et incurables, provoquant des souffrances ou psychiques réfractaires, dont le pronostic vital est engagé à moyen terme », l’assortissant de mesures d’encadrement l’assimilant à un soin ou un traitement. Un flou est laissé sur la notion de « moyen » terme qui n’est pas définie. Pour les personnes non physiquement aptes à réclamer la mort, l’euthanasie est envisagée dans un souci d’égalité, sous l’appréciation d’un juge.
En fait, la « recherche d’un point de rencontre » entre autonomie et solidarité, présente dans le titre même de l’avis, entraine par un biais cognitif une interprétation très subjective et étroite de la notion d’autonomie qui s’opposerait nécessairement à la solidarité. La recherche de conciliation entre 2 principes supposés inconciliables devient une recherche de « juste milieu » nécessairement insatisfaisante, et dont l’issue ne pouvait que s’opposer, par principe, à de nombreux points de l’argumentaire développé au préalable.
Ainsi l’esprit de cet avis conduit à n‘envisager que la dimension individualiste de l’autonomie. Une fois ce biais soulevé, les questions, non évoquées dans l’avis, apparaissent :
- Peut-on ignorer, au nom de cette conception individualiste de l’autonomie du sujet souhaitant recourir au suicide assisté, celle tout aussi légitime et respectable du médecin qui devrait prescrire, du soignant qui y prendrait part de façon directe ou indirecte, du pharmacien qui distribuerait le produit, du chauffeur qui le livrerait etc ?
- Un individu peut-il, au nom de l’autonomie, renoncer radicalement et définitivement à celle-ci en choisissant la mort, et exiger de la société et des individus qui la composent, qu’elle permette et organise cette renonciation définitive ?
- Peut-on réellement croire que la réponse donnée par la société à une demande d’aide à mourir au motif d’une situation médicale donnée n’a aucun impact direct et violent sur le sentiment d’indignité et d’un éventuel « devoir de mourir » des personnes souffrant de la même situation ? Il est évident que cet avis a fragilisé encore plus les personnes dépendantes en reconnaissant que ce sentiment d’indignité et d’exclusion de la société des vivants méritait d’être entendu au 1er degré au lieu d’être consolé et restauré.
- Cet avis introduit aussi à terme une confusion entre les soins palliatifs et « l’aide active à mourir ». Ces deux termes sont antinomiques : les services de soins palliatifs sont des lieux de vie, la philosophie palliative, une « aide active à vivre ». L’« aide active à mourir », l’euthanasie puisqu’il faut l’appeler par son nom, donne la mort.
Le CCNE publie un avis « collectif » voté en séance plénière mais publie un addendum intitulé « réserve » à la demande huit d’entre eux qui ont souhaité faire entendre une opinion différente. Ce détail est très loin d’être anodin et devrait susciter une réserve très prudente quant aux conclusions.
En fait, le CCNE établit un diagnostic assez lucide sur le système de santé actuel (organisation insuffisante des parcours de soins, manque de personnel et de matériel, dimension humaine de la relation de soins moins prise en compte, dévalorisation de l’éthique de la sollicitude) et de son impact sur la prise charge de la fin de vie. Diagnostic que nous, soignants, partageons et avons fait entendre à de nombreuses occasions. Mais au lieu de réaffirmer les principes éthiques qui fondent notre société et plus particulièrement notre mission auprès des personnes malades, il propose contre toute attente, une voie qui n’est en fait qu’un aveu de reniement et d’abandon des plus vulnérables et de ceux qui en prennent soin.