Au-delà des quelques cas d’euthanasie faisant l’actualité, qui concernent souvent des personnes jeunes lourdement handicapées, les médecins et les équipes hospitalières accompagnent chaque jour la fin de vie de patients âgés. Les décisions susceptibles d’abréger la vie sont-elles fréquentes ? Par qui sont-elles prises ? Sophie Pennec, Alain Monnier, Silvia Pontone et Régis Aubry nous livrent les premiers résultats de l’enquête La fin de vie en France.
Les circonstances de la mort ont changé au cours du dernier siècle en France. La plupart des décès surviennent maintenant à des âges élevés, voire très élevés. Ils ont principalement lieu à l’hôpital et en institution, et sont souvent précédés d’une maladie chronique. Les personnes proches de la mort privilégient parfois la qualité de la vie plutôt que sa prolongation à tout prix. Les soins palliatifs se sont développés et les médecins sont parfois conduits à prendre des décisions difficiles en fin de vie. Enfin, un débat s’est développé autour des droits des personnes malades en fin de vie, des décisions médicales à ce moment précis, et l’euthanasie. Signe de ces évolutions, la loi Leonetti de 2005 (encadré 1) donne le droit au patient de refuser tout traitement qui lui semblerait déraisonnable au regard des bénéfices qu’il peut en tirer. Le médecin peut être conduit à décider d’arrêter des traitements, y compris si cela peut avoir pour effet secondaire d’entraîner la mort du patient.
Examinons quelles sont les décisions médicales en fin de vie cinq ans après l’adoption de la loi grâce à l’enquête La fin de vie en France (encadré 2). Une décision médicale a pu hâter la mort dans plus d’un décès non soudain sur deux Les décisions en fin de vie sont généralement l’aboutissement d’un parcours de soins complexe ponctué par une succession d’actions de la part de l’équipe médicale. Toutefois, 17 % des décès ont été considérés par les médecins comme « soudains et inattendus », ce qui excluait toute possibilité d’intervention médicale (tableau).
Une décision médicale a pu hâter la mort dans plus d’un décès non soudain sur deux
Les décisions en fin de vie sont généralement l’aboutissement d’un parcours de soins complexe ponctué par une succession d’actions de la part de l’équipe médicale. Toutefois, 17 % des décès ont été considérés par les médecins comme « soudains et inattendus », ce qui excluait toute possibilité d’intervention médicale (tableau).
Pour près d’un décès sur deux (48 %), le médecin déclare avoir pris une décision médicale en ayant conscience qu’elle était susceptible d’abréger la vie du patient. Le plus souvent, les traitements n’ont pas été administrés dans l’intention de provoquer une accélération de la survenue de la mort (45 %)(1) et sont donc conformes à l’esprit de la loi. Il s’agit de décisions de ne pas instaurer (15 %) ou d’arrêter (3 %) un traitement susceptible de prolonger la vie, ou d’intensifier le traitement de la douleur avec utilisation d’opioïdes et/ou de benzodiazépines (27 %).
Une très faible fraction des décès (3,1 %, soit 148 cas sur 4 723) fait suite à un acte visant à mettre fin à la vie de la personne : décision de limitation ou d’arrêt des traitements (1,5 % des décès), intensification des traitements de la douleur (0,8 %), ou enfin administration de médicaments (0,8 %) (voir aussi l’encadré 3 sur l’euthanasie).
Les autres décisions médicales de fin de vie ont été prises soit dans l’objectif de tout mettre en œuvre pour éviter la survenue de la mort (12 % de l’ensemble des décès), soit sans considérer que cela pouvait hâter la mort du patient (23 %).
Soulager la douleur ou limiter un traitement
Pour la plupart des causes de décès, intensifier le traitement de la douleur est la décision la plus fréquente. Son importance varie cependant du simple au double selon la cause : la moitié des patients atteints d’un cancer (52 %) en a bénéficié contre moins du quart de ceux souffrant d’une maladie cardiovasculaire (21 %) ou d’une maladie de l’appareil respiratoire (24 %). La décision en fin de vie de tout mettre en œuvre pour prolonger la vie du malade est en revanche plus fréquente en cas de maladie cardiovasculaire ou de l’appareil digestif (environ 25 %) qu’en cas de cancer ou de troubles mentaux (5 %). L’administration d’un médicament visant à mettre délibérément fin à la vie, une pratique rare, concerne principalement les patients souffrant de cancer.
Intensifier le traitement de la douleur est beaucoup plus fréquent lorsque le décès à lieu à l’hôpital (38 % des décès) qu’à domicile (22 %), la proportion étant intermédiaire dans le cas des décès en maison de retraite (31 %).
La raison en est probablement que les malades requérant une intensification des médications antidouleur sont plus fréquemment hospitalisés. Mais les écarts demeurent même quand il s’agit d’une même maladie. Dans les maisons de retraite, il est par ailleurs assez rare que tout soit fait pour prolonger la vie du patient (moins de 10 %) alors que c’est un peu plus fréquent en cas de décès à l’hôpital ou à domicile (près de 16 %).
L’âge du patient ne semble pas jouer et il y a peu de différences selon la spécialité du médecin. Certaines font toutefois exception en raison des spécificités des pathologies qu’ils prennent en charge ou des conditions dans lesquelles ils interviennent, selon notamment qu’il s’agit ou non d’une urgence. Les anesthésistes réanimateurs, les réanimateurs médicaux et les urgentistes déclarent plus souvent que les autres médecins avoir « tout fait pour éviter la survenue de la mort », et les cancérologues et les gériatres ont plus fréquemment recours à l’intensification du traitement de la douleur et/ou des symptômes.
Une décision collective dans neuf cas sur dix
Plus des deux tiers des personnes pour lesquelles une décision de limitation ou d’arrêt des traitements a été prise n’étaient pas jugés par le médecin « en capacité de participer à la décision ». Quand les personnes étaient considérées comme capables de participer, ces décisions ont dans près de 80 % des cas fait l’objet d’une discussion avec le patient. Plus la décision médicale est susceptible d’entraîner la mort (intentionnellement ou non), plus elle fait suite à une discussion avec le patient. Tel a été le cas dans environ 50 % des décisions de limitation de traitement, et dans 85 % de celles d’intensification du traitement de la douleur. Un peu moins de 7 % des décisions de limitation ou d’arrêt des traitements sont prises à la demande explicite des patients, contre 19 % des décisions d’intensifier les traitements antalgiques.
Les décisions prises font généralement l’objet d’une discussion avec l’équipe médicale (63 % des cas) et/ou avec un autre médecin (44 %). La famille est associée plus d’une fois sur deux et une personne de confiance l’est dans 15 % des cas. Les 38 % d’individus qui ont, comme le prévoit la loi, désigné une personne de confiance, ont quasiment tous (96 %) choisi un membre de leur famille. Seuls 8 % des médecins déclarent n’avoir discuté avec aucune personne de l’entourage médical ou familial. Ce pourcentage est le même que la personne ait été en capacité de participer à la discussion ou non. Enfin, plus la décision est susceptible d’entraîner la mort, plus le médecin déclare en avoir discuté avec un autre médecin, l’équipe soignante ou la famille.
Selon les médecins, environ 10 % des arrêts de traitement, des intensifications du traitement de la douleur et des administrations de substances létales n’ont pas été discutés avec le patient, bien que celui-ci en ait été jugé apte, ce qui n’est pas conforme à la loi Leonetti. De surcroît, dans 10 % des cas d’intensification du traitement de la douleur, et même dans 2 des 38 administrations d’une substance létale, le médecin déclare avoir pris la décision seul.
La loi donne la possibilité à chacun de rédiger à l’avance des directives anticipées et ainsi d’exprimer ses souhaits pour sa fin de vie en cas d’incapacité de participer à la décision. Seuls 2,5 % des patients concernés l’avaient fait. Pourtant, lorsque ces directives existent, les médecins déclarent qu’elles ont été un élément important pour 72 % des décisions médicales en fin de vie. Cela pose très clairement la question de la connaissance de la loi et l’appropriation des directives anticipées par les patients mais aussi par les professionnels de santé.
>> Télécharger la version complète de l’étude fin de vie en France – INED