Deux réanimateurs et un médecin en soins palliatifs expliquent avec une grande précision pourquoi ils sont opposés à toute légalisation de l’euthanasie. Ils expriment leur étonnement qu’une telle proposition de loi soit examinée à l’Assemblée en pleine crise du Covid. Et lancent un appel, déjà signé par plus d’un millier de soignants.

Les auteurs sont Olivier Jonquet, réanimateur médical, professeur émérite de l’Université de Montpellier; Marie-Béatrice Nogier, néphrologue, réanimateur médical à Toulouse; Jean Fontant, médecin généraliste (Hautes-Pyrénées) et médecin en soins palliatifs. Les trois auteurs sont les porte-parole du collectif «Convergence soignants-soignés».

«Soigner. Donner des soins, c’est aussi une politique. Cela peut être fait avec une rigueur dont la douceur est l’enveloppe essentielle. Une attention exquise à la vie que l’on veille et surveille. Une précision constante. Une sorte d’élégance dans les actes, une présence et une légèreté, une prévision et une sorte de perception très éveillée qui observe les moindres signes. C’est une sorte d’œuvre, de poème (et qui n’a jamais été écrit), que la sollicitude intelligente compose.»

Paul Valéry (1) écrivait ces lignes il y a près d’un siècle. Elles restent d’actualité. La crise du Covid en a souligné l’importance pour les soignants confrontés à la fragilité de patients souvent âgés, trop souvent isolés. Ces soignants, parfois démunis, ont déployé des trésors de patience, de dévouement et d’ingéniosité. Notre pays – c’est à son honneur – a opté pour protéger en priorité les personnes âgées, parce que ce sont elles qui paient le plus lourd tribut à cette maladie. Conscient des difficultés exacerbées par cette crise, le gouvernement a enfin accéléré le plan de développement des soins palliatifs, même si l’incompréhensible report de la loi Grand âge et autonomie est à déplorer.

Et voilà qu’un groupe de députés, en plein milieu de la crise, relance sa proposition de loi affirmant instaurer un droit de mourir dans la dignité, laissant entendre que cette dignité donnerait droit à une injection entraînant la mort.

On peut regretter que la loi de 1999 sur les soins palliatifs ait été insuffisamment appliquée du fait d’une gestion comptable de la politique de santé qui préfère compter et coder que prendre en compte la vie réelle. La loi Claeys-Leonetti de 2016 a même dû rappeler en son article 1 que la loi s’appliquait sur l’ensemble du territoire. En principe, la loi Leonetti de 2005 relative «aux droits des malades et à la fin de vie» et son évolution Claeys-Leonetti en 2016 devaient permettre l’accompagnement des patients en fin de vie en respectant un fragile équilibre qui porte toute déontologie médicale digne de ce nom: d’un côté toujours soulager les patients, à défaut de les guérir ; et de l’autre, ne jamais les tuer.

On ose désormais prétendre que l’euthanasie ferait partie des soins palliatifs. Or ces deux pratiques sont antinomiques ; en les amalgamant à l’euthanasie, on dénature les soins palliatifs

Tuer? C’est de cela dont il s’agit aujourd’hui. Derrière le vocabulaire cosmétique qui veut anesthésier la pensée, se camoufle une réalité: la violence du geste. Déjà la confusion s’instaure: on promeut pour certains un «suicide assisté», alors que le drame du suicide est un fléau national qui endeuille si brutalement tant de familles ; on invoque la compassion comme s’il n’y avait pas d’autres solutions, pour certains patients, que de précipiter leur mort ; avec l’apparition de l’expression «euthanasie palliative» on ose même désormais prétendre que l’euthanasie ferait partie des soins palliatifs. Or ces deux pratiques sont antinomiques ; en les amalgamant à l’euthanasie, on dénature les soins palliatifs, au risque de ruiner la confiance du patient et de ses proches.

C’est notre constat en Belgique. Jacques Ricot, philosophe des soins palliatifs, le dit clairement: «L’euthanasie ne complète pas l’accompagnement, elle le supprime. Elle ne succède pas aux soins palliatifs, elle les interrompt. Elle ne soulage pas les patients, elle les supprime.» (2) Faut-il être inconscient pour ne pas voir les dérives qui se sont multipliées dans les rares pays qui ont cru devoir «entrouvrir» une porte? Année après année, l’encadrement de l’euthanasie s’effrite ; la culture bascule: on passe du droit au devoir de mourir. Et les scandales sont étouffés par un système qui s’acharne à s’auto-justifier.

Le problème de fond est de savoir si une loi supplémentaire peut garantir une mort apaisée. Qui le dira? Qui est revenu pour nous le dire? Et que dire de ceux qui restent, proches et médecins, car on ne sort pas indemne d’une pareille transgression.

Le but de la médecine a toujours été de guérir et lorsque l’on ne pouvait pas, de soulager. Le développement des techniques biomédicales a permis de prolonger la durée de vie, parfois au détriment de l’écoute et de l’accompagnement des patients. L’épidémie du Sida a incité au développement des soins palliatifs: des unités dédiées, mais surtout une philosophie du soin, une culture à généraliser.

Tout médecin, tout soignant doit vivre cette tension souvent difficile entre le soin aigu, technique, invasif et l’accompagnement qui est régi, lui aussi, par des manières d’être et de faire. Les lois ont condamné l’obstination déraisonnable: on évite l’acharnement thérapeutique mais aussi les investigations inutiles, lorsqu’elles n’ont aucun sens vu l’état du malade. Ces mêmes lois exigent une prise en charge de la douleur et de la souffrance jusqu’à la mise en œuvre de sédations pouvant conduire au décès, sans volonté directe de le provoquer, mais ayant pour intention de soulager la douleur et la souffrance.

Certes, les lois peuvent être ici ou là mal connues, mal appliquées. Les coordinations entre les équipes sont essentielles. Des filières (ou parcours) de soins sont à créer ou à améliorer. Malgré les progrès, les structures sont mal réparties. Il faut du temps et surtout une volonté agissante dans la mise en œuvre de la loi.

L’interdit de tuer fait partie des tabous structurants d’une société. Il oblige à la sollicitude intelligente qu’évoquait Paul Valéry. Il nous protège tous, tant de la toute-puissance que de la désespérance.

1) Paul Valéry, «Mélange» dans Œuvres T1 p. 322-323, Paris, Gallimard, La Pléiade, 1968

2) Jacques Ricot, «La vie humaine et la médecine», p. 237-244 dans Esprit, 8-9, août-septembre 2001.

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